Interview avec Berta, Coordinatrice du Programme de Surveillance Marine de Projeto Biodiversidade
Published on 26 septembre 2025Berta, pouvez-vous d’abord planter le décor au Cap-Vert et nous raconter l’histoire de votre projet ?
Notre projet PPI s’est concentré sur une zone très spécifique appelée Parda, située sur la côte nord-est de l’île de Sal, au Cap-Vert, que l’on pense être une nurserie pour les requins-citron (Negaprion brevirostris, NT). C’est aussi l’une des principales attractions touristiques de l’île, avec des centaines de visiteurs qui viennent chaque jour observer les requins de près. Cependant, lorsque nous avons soumis notre proposition au PPI, aucune réglementation n’était en place : les conditions de travail des employés et les infrastructures d’accueil des visiteurs étaient inadéquates, et aucun code de conduite n’existait pour protéger les requins ni leur habitat.
Nous avons identifié un besoin urgent d’agir. Le tourisme lié aux requins se développait sans directives claires, et on savait très peu de choses sur l’espèce dans cette zone. Notre objectif n’a jamais été d’arrêter le tourisme, mais de l’organiser de façon à ce que la communauté locale et les requins puissent prospérer ensemble.
Le projet s’est construit autour de trois grands piliers :
1) Recherche scientifique – Collecter des données pour confirmer le statut de nurserie et appuyer la création d’une Aire Marine Protégée (AMP). Nous avons utilisé plusieurs méthodes telles que les BRUV (Baited Remote Underwater Video, une méthode non invasive utilisant une caméra sous-marine avec un appât inaccessible pour attirer les requins par l’odeur. La caméra enregistre pendant 60 à 90 minutes, ce qui permet d’évaluer la diversité, la répartition et le comportement des espèces sans les perturber), la surveillance par drone, l’analyse d’ADN environnemental, le marquage et l’échantillonnage génétique.
Équipe marine préparant un BRUV à installer dans l’Aire Marine Protégée de Serra Negra.
Crédit : rapport 2023 de Projeto Biodiversidade.
2) Autonomisation communautaire – Aider les travailleurs locaux à formaliser leurs activités, améliorer leurs conditions de travail et s’organiser pour représenter collectivement leurs intérêts.
3) Durabilité et bonnes pratiques – Renforcer leurs connaissances sur l’écologie et la biologie des requins, co-développer un code de conduite volontaire pour les activités d’observation des requins, définir des points d’entrée désignés dans l’eau, et installer des panneaux d’information afin de minimiser l’impact négatif sur les requins et leur habitat, tout en améliorant l’expérience des visiteurs.
En tant que coordinatrice, quel est exactement votre rôle ? Et en tant que spécialiste des requins, quel est votre point de vue sur eux ?
Mon rôle ? Eh bien… un peu de tout ! De la conception du projet à la mise en œuvre sur le terrain, en passant par la logistique, la gestion financière et le reporting… Je coordonne une équipe de trois à quatre personnes, et lors des missions de marquage, nous bénéficions de l’aide de nombreux volontaires, pour la plupart des habitants locaux.
Avant ce projet, je n’avais jamais travaillé avec les requins. Aujourd’hui, j’apprends quelque chose d’eux chaque jour — ce sont vraiment des créatures fascinantes. Parda est un site particulier car on peut entrer dans l’eau à pied et être entouré de jeunes requins-citron curieux et non agressifs. Cela remet en question le stéréotype selon lequel les requins seraient dangereux. Les conflits avec les humains surviennent généralement parce que nous perturbons leur environnement. Malheureusement, des millions de requins sont tués chaque année par les activités humaines… Nous devons mieux les comprendre pour mieux les protéger.
Avec la fin du PPI 6, en quoi ce soutien vous a-t-il aidés et quels sont les principaux résultats ?
Ce projet n’aurait pas été possible sans l’appui du PPI. Nous avons également reçu une aide précieuse du Shark Conservation Fund pour certaines activités, ainsi que de l’Université Queen Mary de Londres pour l’analyse des vidéos de drones. Nous avons aussi construit de solides partenariats avec les autorités de l’environnement et du tourisme, entre autres, qui ont été essentiels au succès du projet. Mais surtout, notre plus grand allié a été l’Association des Travailleurs de Shark Bay (ATSB – Associação de Trabalhadores de Shark Bay), dont les membres jouent un rôle central sur le terrain pour assurer la durabilité de l’observation des requins tout en protégeant le bien-être des requins-citron dans cet habitat critique.
Principales réalisations :
• Confirmation scientifique que Parda est bien une nurserie de requins-citron (données non publiées), et reconnaissance de la zone comme ISRA (Important Shark and Ray Area).
• Dépôt d’une proposition de création d’une AMP dans la zone auprès du gouvernement.
• Soutien à la création d’une association de travailleurs : auparavant, chacun travaillait de manière indépendante à Parda, désormais ils disposent d’une voix collective et d’une structure organisée, reconnue et respectée par les autres acteurs.
• Adoption d’un code de conduite volontaire par les guides d’observation des requins.
Vous passez beaucoup de temps à observer le comportement des requins, en vidéo et sur le terrain. Qu’avez-vous appris ?
J’ai constaté que les requins-citron de Parda ont deux visages. Le jour, ils connaissent l’emploi du temps des touristes : à 9h30, quand les premiers bus arrivent, ils apparaissent ; à 17h, quand les derniers groupes repartent, ils disparaissent. En présence des visiteurs, ils se comportent comme des chats curieux, frôlant les jambes. Mais la nuit, tout change — ils deviennent des chasseurs rapides et efficaces.
C’est en réalité rassurant : malgré le tourisme, leurs instincts naturels restent intacts.
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Un groupe de touristes observent des requins-citron. Cap Vert, 2022. Crédit : Paul Estève.